vendredi 7 septembre 2012

"Histoire du prix Nobel", sources et méthode


 
Des bouquins sur Alfred Nobel et ses prix, il en existe des centaines et dans de nombreuses langues. Impossible de tout lire bien sûr. Et tant mieux puisque je ne voulais pas faire un concentré de ce qui existe déjà. L'idée, avec mon livre à paraître le 20 septembre, est de "revisiter" ce sujet déjà bien balisé avec un regard de journaliste et de l'ancrer dans le monde actuel.
Pour certaines parties du livre, et notamment celles ayant trait aux origines du prix et à la vie d'Alfred Nobel, je n'ai pas pu faire autrement que de puiser aux bonnes sources, en lisant les ouvrages qui m'ont semblé être les mieux informés et nourris d'informations de première main. Rédigés en majorité en langues scandinaves, ils sont énumérés dans la bibliographie qui clôt mon bouquin. Et, lorsque j'emprunte citations ou idées, je mentionne mes sources dans le corps du texte, avec toutefois le souci de ne pas multiplier les références pour que la lecture reste fluide.

Dans ces livres de référence, j'ai cherché ce qui me paraissait le plus en phase avec mon approche:
-- la décortication d'une mécanique qui, au départ, devait se construire ex nihilo et s'est huilée avec le temps
-- les facteurs expliquant les choix des différents "jurys" Nobel, nécessairement subjectifs en particulier dans les disciplines non-scientifiques.

A ces sources sont venues s'ajouter les documents disponibles dans les institutions décernant les différents Nobel. La subjectivité étant plus flagrante pour les prix de littérature et de la paix, c'est à l'Académie suédoise (Stockholm, 1ère photo ci-dessous) et à l'Institut Nobel norvégien (qui, notamment, assiste le Comité Nobel chargé de décerner le prix de la paix, à Oslo) que j'ai passé le plus de temps à fouiller dans les archives accessibles. 





J'y ai consulté notamment:

-- les listes des personnalités nominées pour les prix et celles des personnalités ayant proposé ces noms (lecture plus instructive qu'il n'y paraît, c'est là qu'on débusque des liens peu évidents par ailleurs, qu'on repère des retours d'ascenseur, qu'on voit qui a fait l'objet d'une campagne orchestrée pour décrocher un prix).
-- les rapports d'évaluation des personnalités nominées, rédigés par des membres du Comité Nobel norvégien et des experts qu'ils ont consultés (documents éclairant les raisons d'un couronnement et, a contrario, celles qui ont poussé à écarter des milliers de personnalités)
-- les évaluations et autres mises au point rédigées par les membres de l'Académie suédoise en charge de sélectionner les lauréats du prix de littérature (souvent écrites dans un suédois recherché, elles reflètent l'inlassable travail de filtrage effectué chaque année à Stockholm; diverses considérations s'entrecroisent: nationalités, catégories d'auteurs, analyses de leur style et conception de l'écriture, prises en compte de leurs opinions politiques ou autres)
-- les rapports administratifs et financiers annuels du Comité Nobel norvégien rédigés depuis 1901 (intéressant pour le fonctionnement interne d'une telle entité, même si leur rédaction sent la bureaucratie)

Hélas, il est impossible de consulter tout document interne concernant les Nobel émis durant les 50 dernières années. Ainsi en a décidé la fondation qui chapeaute le système Nobel (j'en explique les raisons dans le livre).
Ainsi, durant mon enquête réalisée essentiellement entre début décembre 2011 et fin mars 2012, il m'a été impossible de parcourir les listes, les évaluations, etc., concernant la période allant de cet hiver-là à la saison Nobel 1962 comprise. Ce n'est qu'à partir de janvier 2013 que les documents concernant l'année 1962 seront accessibles à ceux qui, après en avoir fait la demande, auront reçu le feu vert.

J'ai également eu accès à des livres et autres journaux intimes laissés derrière eux par divers membres des "jurys" Nobel. Plusieurs académiciens suédois ont raconté leurs souvenirs, j'en ai consulté quelques-uns - dont ceux de Lars Gyllensten - dans la belle bibliothèque de la ville de Stockholm (œuvre de l'architecte Gunnar Asplund).
Pour le prix de la paix, le journal rédigé pendant des décennies par celui qui était alors le président du Comité Nobel norvégien m'a été d'une aide précieuse. Là, dans cet exemplaire unique tapé à la machine, consultable dans la "salle des lectures spéciales" de la Bibliothèque nationale (Oslo), le Norvégien Gunnar Jahn lève par moments le voile sur:

-- les réunions des cinq membres du Comité Nobel (et de son secrétaire, qui n'a pas le droit de vote mais peut prendre part aux discussions) en vue de sélectionner les lauréats. On y découvre les dissensions internes, les inimitiés, les préjugés idéologiques des uns et des autres, les laborieuses tractations pour s'accorder sur un nom, etc.
-- les manœuvres et approches effectuées par certains pour obtenir le prix ou faire en sorte qu'une autre personnalité le reçoive
-- les sollicitations extérieures auxquelles est soumis le Comité Nobel
-- les préférences de l'auteur du journal, ses centres d'intérêt personnels qui, parfois, ô miracle, se traduisent par l'attribution d'un Nobel...

Autres mines d'informations écrites, les sites Internet de la Fondation Nobel (www.nobelprize.org), de l’Académie suédoise (www.svenskaakademien.se), de l’Académie royale des sciences (www.kva.se), de l’Institut Carolin de Stockholm (www.ki.se) et de l’Institut Nobel d’Oslo (www.nobelpeaceprize.org).

A côté de ce travail de recherche et de lecture plutôt solitaire, dans l'atmosphère feutrée des bibliothèques, j'ai rencontré des personnes bien vivantes, impliquées à divers niveaux dans les processus de décision et la machinerie Nobel. 

J'en parlerai ici dans un prochain billet. 


lundi 3 septembre 2012

Mon nouveau livre, une "Histoire du prix Nobel"



Les prix Nobel, ce sujet obligé qui tombe chaque année, aussi sûrement que l’automne sur la Scandinavie au moment où ils sont annoncés (en octobre) et l’hiver lorsqu’ils sont remis en grande pompe (le 10 décembre). Un beau "marronnier", comme on dit dans le jargon des médias, pour les journalistes en poste en Europe du Nord et ceux des rubriques sciences, littérature ou politique étrangère.

Les prix Nobel, des choix parfois étranges, souvent inattendus et qu'il est de bon ton, ici et là, de moquer. Des distinctions qui ne méritent pas pour autant l'importance que certains leur accordent. 

Alors pourquoi en parler? 

Parce que précisément ces prix font causer, surprennent, suscitent l'enthousiasme, le scepticisme ou les protestations. Aucune autre récompense du genre ne fait autant couler d'encre au niveau mondial. Comment est-ce possible? Pourquoi ces prix-là et pas d'autres? Comment la sauce Nobel a-t-elle pris?

Ce sont là quelques-unes des questions qui m'ont poussé à imaginer la rédaction d'un livre sur le sujet. Ayant eu l'occasion, depuis 1994, de répercuter et expliquer les choix des institutions décernant les différents prix Nobel, et les réactions qu'ils n'ont pas manqué de provoquer, je me suis mis à observer de plus près les mécanismes de ce phénomène unique en son genre.

Puis, après avoir trouvé un éditeur intéressé par mon projet, François Bourin, j'ai entrepris de décortiquer ladite mécanique. Pour ce faire, je suis remonté aux origines avec l'idée de trouver les raisons qui ont incité le Suédois AlfredNobel à consacrer, à titre posthume, le plus gros de sa fortune - l'une des plus rebondies de l'Europe de la fin du 19e siècle - à une initiative inédite et très ambitieuse pour l'époque: celle consistant à récompenser les meilleurs, quelle que soit leur nationalité, dans cinq domaines, littérature, physique, chimie, médecine (ou physiologie) et la paix.

La paix? Tiens, pourquoi? Et pourquoi confier le soin d'accorder ce prix non pas à des Suédois (comme pour les autres prix) mais à un comité nommé par le parlement norvégien? Comment celui-ci s'est-il acquitté d'une tâche a priori peu aisée? N'était-il pas trop lié aux dirigeants politiques norvégiens, voire à ceux d'autres pays? S'est-il défait de cette proximité? A quel prix, avec quels résultats?

Et comment se fait-il qu'on parle aussi d'un Nobel d'économie, alors que l'inventeur de la dynamite ne l'avait pas prévu dans son testament? Comment ce prix-là a-t-il pu se greffer sur les autres (en 1968), est-il aussi légitime qu'eux?

Pour chacun des prix de la galaxie Nobel, je raconte dans ce livre (à paraître le 20 septembre en France) comment le facteur humain a finalement joué un grand rôle dans l'attribution de ces fameuses récompenses. La part du subjectif, voire de l'affectif, est plus déterminante qu'il n'y paraît. Derrière les longues listes de lauréats (853 à ce jour!) se dessinent des liens, indétectables pour le public non-averti, entre certains de ces heureux élus et les personnes qui les ont distingués. On décèle aussi des phénomènes de mode, des influences dues au contexte mondial (fin de la domination de l'Europe, montée en puissance des Etats-Unis, Guerre froide, émergence de nouvelles grandes puissances et de continents, etc.).

Et puis, à ma grande surprise, j'ai retrouvé des traces de lobbying dès les toutes premières éditions des prix (la première remonte à 1901). Leur réputation s'affirmant avec le temps, les Nobel ont suscité de plus en plus de convoitises et donné lieu à des manœuvres souvent cousues de fil blanc en vue de décrocher la médaille en or et le chèque très confortable qui les accompagnent.
C'est l’un des autres fils rouges de ce livre. 

Prochain billet: la méthode et les sources utilisées pour ce livre.